Edition du vendredi 02 août 2002


Culture et Spectacles / ARTICLE
 
HOMMAGE Il y a dix ans, une crise cardiaque brisait le fil d'une vie radieuse

Dix ans après sa mort, Michel Berger semble toujours présent par ses textes, ses compositions et ce qu'il a ensemencé, pour jamais, dans la chanson française.
(Photo Richard Melloul/Corbis Sygma.)
 
Michel Berger, mémoire fertile


A. H.
[02 août 2002]

Il avait seize-dix-sept ans, une tignasse sombre et bouclée, on ne sait quoi d'un enfant du siècle dans le regard. « L'amour, tu n'y crois pas. » Une voix un peu grêle alors, presque plaintive. Premier 45 tours. Sur Europe 1, on n'arrête pas de l'entendre, la chanson lancinante. Très bien écrite. Très musicale. Michel Berger. On est en 1965. Quelques mois plus tard, il figure sur la photo qui fixe ensemble, devant un mur de briques peintes en blanc, un mur très West Side Story, les valeurs déjà sûres et ceux dont on espère beaucoup. C'est dans Salut les Copains, un portrait de groupe signé Jean-Marie Périer. Ils sont tous là. Les déjà grands, Gainsbourg, Hallyday, Vartan, tant d'autres. Et les bourgeons. Il a l'air d'un môme avec son pull shetland rouge, son visage triangulaire de chat perspicace et son regard ferme qui fixe crânement l'objectif. Deux rangs derrière, il y a France Gall, blonde frange lisse et bombée.

Il y a dix ans, le 2 août 1992, après une partie de tennis amicale, à Ramatuelle, où il était en vacances dans la maison familiale « La Grande Baie », ce coeur si sensible a craqué. Quarante-quatre ans. C'est bien jeune. C'est bien injuste. La tragédie s'abat, cruelle, sur ses proches. Sa femme, France Gall, ses enfants. Cinq années plus tard, sa fille Pauline mourra à l'âge de dix-neuf ans, emportée par la maladie. Destin funeste.

Destin lumineux pourtant et, dix ans après sa mort, Michel Berger semble toujours présent par ses textes, ses compositions et ce qu'il a ensemencé, pour jamais, dans la chanson française. Le triste anniversaire est marqué des pierres scintillantes de quelques rééditions (1). Des mélodies inoubliables, indémodables et l'inédit La Fille au sax. Des photos, des textes. Album de mémoire vive, fertile.

Ecartées les pensées douloureuses, celles qui s'insinuent toujours lorsqu'on l'écoute, ces pensées de la folle imagination, du genre il aurait tel âge, il aurait écrit tel opéra, il aurait publié un roman peut-être et composé, tant composé, écartées ces idées vaines, il est là dans la plénitude d'un art qui lui était consubstantiel, lui que sa mère, la pianiste Annette Haas, avait assis devant un clavier alors qu'il n'avait que trois ans... Musique dans le sang, sang d'encre claire et fluide. « Il y a quelque chose de profondément naturel dans l'écriture d'une chanson réussie. Je veux dire, comme marcher dans la nature ou boire quand on a très soif. Une espèce de facilité, de logique qui vient d'on ne sait où. » Un ami des muses, un inspiré, Berger. Un sentimental aussi, un éternel Petit Poucet rêveur attentif aux palpitations des êtres et des paysages, qui puisait son inspiration dans la contemplation sereine du monde, mais aussi aux pages les plus denses de la littérature.

Peu de personnalités du show-biz, et c'était sa famille et il s'y sentait bien, pouvaient faire preuve de tant d'acuité dans le choix des lectures, la curiosité pour le mouvement des idées, le goût pour les belles choses de l'art, ce qui vous nourrit secrètement et vous élève. Il savait qu'il n'était qu'un auteur-compositeur brillant. Il était comme Gainsbourg, il avait lu les grands livres. Cette lucidité ne l'empêchait pas de s'engager complètement dans ce qu'il faisait et de chercher le juste ton qui conviendrait à tel ou tel. Chacun lui doit beaucoup. C'était un Pygmalion tendre, qui devinait les autres et savait aussi, avec une clairvoyance radieuse, ce que le public attendait des interprètes pour lesquels il écrivait et composait. Don rare dont il ne fut jamais avare, s'oubliant volontiers pour que les autres soient dans leur accomplissement. Un généreux, Michel Berger. Qui allait, l'époque le voulait, mais la démarche était d'une absolue sincérité, comme certains de ses camarades, Daniel Balavoine, s'engager pleinement sur les chemins de l'humanitaire.

Sans tapage. Sans témoin. Sans photo. Il donnait de lui-même. Il donne toujours. Les chansons sont là qui reviennent comme subtil ressac. On le fredonne. On se souvient. Il n'est plus là. Et pourtant. Si proche. Ses étoiles, au ciel, lui font de doux frous-frous.

(1) Anthologie de 3 CD, 58 chansons, livret de 32 pages. Photographies inédites, WEA, 43 € ; best of de 2 CD, 40 chansons, WEA, 26 €. On peut lire Quelques mots d'amour, une biographie de Jean-François Brieu et Eric Didi (Lattès).






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